Vivre dans l'espace


L'espace -- la frontière de l'infini ! Pour un petit pourcentage d'êtres humains, en tout cas. Parmi les huit milliards d'habitants de l'espace humain, cinq résident sur Terre et l'écrasante majorité des outre-terriens habitent sur des mondes telluriques (Elora en tête) dotés d'une gravité confortable, d'une atmosphère épaisse et d'une hydrologie active. Moins de 5% de l'humanité a adopté un style de vie spatial et réside à demeure sur des stations orbitale, à bord de vaisseaux au long cours, ou dans des astéroïdes évidés.

Reste que ces 400 millions de spationautes représentent une démographie non négligeable, surtout quand on considère que certains vivent hors-monde depuis près de deux siècles : le plus ancien établissement outre-atmosphère est la cité lunaire du cratère de Shackleton, qui va bientôt célébrer son 175e anniversaire. Comment les spationautes se sont-ils adaptés à leur environnement ? Telle est la question à laquelle le journaliste Peter Vangelis souhaitait répondre dans son dernier livre de vulgarisation scientifique, Hors-Monde, en prenant une navette pour la vénérable station Nana Buluku en orbite terrestre basse.

En lieu et place d'une réponse simple, Vangelis a découvert une vérité un peu embarrassante : les spationautes ne se sont jamais réellement adaptés à leur milieu cosmique. La liste détaillées des effets délétères qu'ont l'apesanteur (ou la gravité basse) et les radiations prend un bon tiers de l'ouvrage. L'apesanteur affecte l'entièreté du corps humain, du plus évident documenté depuis des siècles (perte de masse musculaire et osseuse, gonflement du visage par afflux de fluides...) au plus obscur (maladies de l’œil dues au manque de pression dans la cornée) voire au franchement étrange (ni les neurones ni le microbiote intestinal n'apprécie l'absence de pesanteur). Les radiations cosmiques ont, elles aussi, des effets en cascade qui ne s'arrêtent pas à une occurrence un peu plus élevée de tumeurs. Même la médecine traumatique est affectée ; ainsi, comme le sang ne coule plus naturellement hors des plaies, il faut le pomper, et les anesthésiants marchent mal, voire pas du tout.

L'espace est profondément hostile ; et donc, qu'avons-nous fait pour régler le problème ?

A l'exception de l'augmentation génétique (la création de sous-espèces humaines restant éthiquement impensable), toutes les méthodes de la médecine moderne ont été mobilisées pour améliorer la santé des spationautes. Avec une cohorte de patients s'étendant sur deux siècles, il a été possible de parer à certains des effets les plus délétères, ce qui se voit dans les statistiques. L'espérance de vie en bonne santé des spationautes est juste en-dessous de la moyenne (118 ans contre 121 pour les cohortes terriennes), mais sans déviation exceptionnelle et, même s'iels ont parfois des couleurs de peau exotiques, iels ressemblent à n'importe quel être humain. Les traitements des monades sont tout à fait capable de juguler les cancers les plus agressifs ; nous pouvons remplacer les yeux ; nous pouvons contrôler le microbiote intestinal ; nous pouvons placer les femmes enceintes dans des centrifugeuses pour assurer des naissances sans complications ; les drones médicaux savent traiter les blessures en apesanteur. La science nous permet, dans les grandes largeurs, d'alléger le poids de l'espace sur le corps humain.

Ou peut-être pas, en fin de compte. Car la conclusion de Vangelis est surprenante : le facteur qui permet véritablement aux spationautes de maintenir leur santé est le simple fait...qu'iels passent beaucoup de temps à la surface de planètes semblables à la Terre ! Le spationaute moyen passe trois mois par an soit sur le plancher des vaches, soit dans une station capable de gravité centrifuge. Si l'on considère uniquement les spationautes qui n'effectuent pas ces voyages réguliers, le portrait sanitaire devient subitement beaucoup plus sombre, parce que la médecine n'est pas toute-puissante, elle ne peut pas réparer plusieurs organes vitaux à la fois, elle ne peut pas pas ressusciter des neurones ou, dans le cas d'une IA végétale, la faire sans cesse repousser.

Ainsi conclut Vangelis : les spationautes ne vivent pas réellement dans l'espace, mais à côté de luicar s'il contient les merveilles du cosmos, cela ne l'empêche pas de vouloir tous nous tuer.

Personnage dessiné pour Starmoth par Garnouille.

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