Surface-Orbite

Il est une règle fondamentale du voyage spatial : posséder un moteur supraluminique n'est d'aucun intérêt si l'on ne peut pas atteindre l'orbite. Même à l'âge interstellaire, la partie la plus complexe et la plus chère d'un trajet reste celle qui consiste à quitter le plancher des vaches pour atteindre une trajectoire orbitale.

Il existe bien des manières d'atteindre l'orbite à partir de la surface d'une planète, et toutes sont employées quelque part dans l'espace humain. Certaines obéissent à l'équation de Tsiolkovski, d'autres l'ignorent royalement. On trouvera dans le guide ci-joint une liste de quelques-unes de ces méthodes, qui n'a évidemment pas vocation à l'exhaustivité.

1 - Jusqu'aux étoiles, en ballon : le rockoon

Les fusées sont pratiques, mais possèdent un défaut majeur : elles sont principalement composées d'explosifs hautement concentrés. La volonté de limiter la charge propulsive pour obtenir un engin simple et léger est la principale motivation derrière le développement du rockoon, ou rocket-balloon, constitué d'un petit étage de fusée suspendu à un ballon qui l'amène à la limite de l'atmosphère avant de procéder à une mise à feu parfaitement bénigne et, pour être honnête, assez peu cinégénique. La charge utile d'un ballon-fusée est minimaliste et inférieure à cent kilogrammes. Les rockoons sont toutefois très peu chers et peuvent être lancés à partir d'un camion, sans aucune infrastructure fixe. Cette flexibilité en fait des outils précieux sur les planètes récemment colonisées, où ils sont mis à profit pour déployer des microsatellites d'observation et de communication. Étant virtuellement indétectables au lancement, les rockoons font également un parfait lanceur furtif.

2 - Le train de 3h30 pour la Lune : les accélérateurs de masse

A l'instar de leurs (rares) homologues militaires, les accélérateurs de masse utilisent la force de Lorentz pour accélérer une charge utile vers une vélocité orbitale. Ils ne sont utilisables que sur les planètes dénuées d'atmosphère (ou à l'atmosphère très fine), requièrent la construction d'une infrastructure conséquente et ne sont pas appréciés des superpuissances car leur militarisation est très aisée. En dépit de ces inconvénients, les accélérateurs de masse sont très courants à la surface des lunes des géantes gazeuses (notamment celles de Saturne) où ils servent à expédier des trains de conteneurs d'un astre à l'autre, dans un contexte où l'énergie électrique est beaucoup moins chère que le carburant chimique. Il est même possible d'expédier des capsules habitées avec un accélérateur de masse.

3 - Une tradition séculaire : les fusées chimiques

Les fusées à carburant chimique -- solide ou liquide -- ont traversé le Bas-Âge en tant que technologie perdue, dont les principes théoriques étaient toujours connus, mais qui ne pouvait être déployée sur le terrain ravagé de l'ère post-apocalyptique. Les fusées de l'âge interstellaire utilisent des propergols solides exotiques, généralement de l'hydrogène métallique ou de l'azote métastable, qui garantissent un excellent rendement et des retombées minimes. Dotées de deux étages, elles peuvent transporter jusqu'à cinq cents tonnes en orbite basse et sont entièrement réutilisables. Culturellement, elles sont l'expression-type d'une certaine brutaliité industrielle, transférée à l'époque moderne. 

4 - L'élégance d'un âge perdu : les avions spatiaux

Le premier « avion spatial » à avoir jamais vu le jour -- c'est-à-dire un engin capable de vol atmosphérique et pouvant atteindre l'orbite avec un seul étage -- fut la navette spatiale américaine dans les années 1970. Si elle a entièrement disparu des mémoires (sauf celles d'une certaine IA américaine) humaines, l'élégance formelle de sa silhouette continue d'irriguer la pensée aérospatiale. Les avions spatiaux ne sont pas employés pour leur efficience, mais pour leur beauté. Ces engins capables de décoller comme des aéroplanes, de grimper jusqu'à la limite de l'atmosphère et de revenir se poser à la seule grâce de leur ailes ne sont, dans le monde post-capitaliste, ni pressés par une exigence de rentabilité, ni sommés d'avoir une utilité. Leurs ailes blanches portées au soleil des mondes de l'espace humain, ils sont des installations artistiques. 

5 - Industrialiser l'orbite basse : le cas du crochet orbital

Les crochets orbitaux sont des infrastructures spatiales permettant d'acheminer de grandes quantités de matériel depuis la surface ; on les trouve autour de la plupart des mondes développés. Le crochet comporte une station en orbite basse, dotée d'un contrepoids et d'où part un câble semi-rigide, long de plusieurs centaines de kilomètres, qui entre périodiquement en contact avec l'atmosphère au fil de son mouvement pendulaire. Au plus bas de sa trajectoire, un véhicule suborbital vient déposer sa charge utile au bout du câble, qui remonte ensuite vers l'orbite et libère son contenu. le câble mesure entre 400 et 600 km de long, tandis que le contrepoids doit être un millier de fois plus lourd que la charge utile. Une fois cette dernière insérée en orbite, la station doit retrouver son altitude initiale, soit par l'utilisation de propulseurs, soit en désorbitant une charge équivalente à celle qui a été injectée. Le principal avantage du crochet orbital réside dans l'économie d'échelle qu'il permet : les véhicules de haute altitude étant nettement moins complexes et coûteux que leurs homologues spatiaux, la construction d'un crochet est amortie en quelques années.

6 - La tour de Babel moderne : l'ascenseur spatial 

Un ascenseur spatial représente le point culminant de l'infrastructure surface-orbite : un câble connectant un point situé à l'équateur avec un contre-poids en orbite géostationnaire, dont la somme des forces de gravité et centrifuge maintiennent la rigidité et la cohésion. Des trains de marchandises et de passagers voyagent le long du câble, qu'ils quittent à des altitudes variées selon leur destination en orbite basse, en orbite haute ou sur une trajectoire de transfert interplanétaire. Extrêmement coûteux, les ascenseurs orbitaux compensent leur difficulté de mise en œuvre par une capacité mesurée en milliers de tonnes par jour, ce qui surpasse n'importe quel autre mode de transport surface-espace.

Il est nécessaire de distinguer deux types d'ascenseurs orbitaux. Le premier est présent sur des corps célestes à faible gravité, comme la Lune. Ces ascenseurs sont plutôt courts et les forces s'exerçant dessus sont limitées, ce qui permet de les assembler avec des matériaux simples (acier en premier lieu) et en peu de temps. A cette échelle, la principale condition au déploiement d'un ascenseur reste la taille de l'économie locale ; en-deçà d'un certain trafic (réservé aux économies développées), crochets orbitaux et accélérateurs de masse suffisent amplement.

Le deuxième type d'ascenseur orbital est déployé sur des mondes à forte gravité et à l'atmosphère épaisse, comme la Terre ou Elora. Dans ce cas, les forces exercées sur l'infrastructure sont bien plus élevées, et il faut ajouter l'impact de la météorologie sur la partie terminale du câble. Même à l'âge interstellaire, la construction d'un tel ouvrage est une œuvre colossale, qui consomme un pourcentage non négligeable du produit intérieur brut d'un continent développé pendant plusieurs décennies. De fait, seuls trois ascenseurs orbitaux majeurs existent dans l'espace humain : deux sur Terre (dont les bases sont à Mombasa et Manille) et un sur Elora.

Space elevator picture: Liftport.

Rockoon: Zero 2 Infinity concept art.

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