Les étoiles désarmées ?

Dans Etoiles Désarmées, l'ingénieur et historien Moshe Kalu se pose une question toute simple : pourquoi les armes à feu sont-elles si rares dans l'espace humain, malgré la permissivité de ses lois ?
Le problème, explique Kalu dans sa préface, n'est pas technique. Les armes à feu restent efficaces et mortelles, même face à leurs supposés remplaçants. Les armes électromagnétiques portables sont en effet trop gourmandes en énergie, tandis que les lasers restent difficilement accessibles malgré leur létalité. Les armes à poudre restent ainsi dominantes sur la plupart des champs de bataille, de la Bulle de Smyrnia à la Mer Sereine. En tout, trois cents millions d'armes à feu sont enregistrées dans l'espace humain : la majorité sont à usage militaire.
Où sont allés les autres ? demande Kalu. Qu'est-ce qui est arrivé à l'arme personnelle, compagnon nécessaire et naturel du Bas-Âge ? Depuis le milieu de l'âge post-apocalyptique, le contrôle social imposé aux armes est drastique. Il est presque impossible à un citoyen lambda de se procurer autre chose qu'un fusil à un cou et rechargé à la main -- même en comptant les reliques industrielles qui refont surface ici et là -- et les armes en circulation sont dûment enregistrées et géolocalisées. Toutefois, ajoute Kalu, ces limites légales n'expliquent pas tout. Dans un monde où l'impression en trois dimensions forme la base de l'économie manufacturière, l'assemblage d'une arme à feu ad hoc ne requiert que la possession d'un schéma utilisable, et la régulation de ces derniers est quasi-impossible. Ainsi, propose l'auteur, la rareté des armes à feu est un choix, bien plus qu'une contrainte. Pourquoi donc ?
Au yeux de Kalu, la principale raison est culturelle. La plupart des humains vivant sur Terre depuis le milieu du Bas-Âge n'ont jamais employé une arme à feu, même pour leurs loisirs : pistolets et fusils ne font tout simplement pas partie de la conscience populaire. Bien des terriens ne sauraient probablement pas employer une arme à feu, et leur possession n'est pas conçue comme une manière pertinente de s'opposer à une éventuelle tyrannie centralisée, la révolution étant essentiellement conçue comme devant s'appuyer sur l'autogestion économique et la gouvernance locale, dans un contexte où la quasi-totalité des entités politiques sont organisées du bas vers le haut. Seules les zones de guerre à faible intensité, comme Smyrnia-Silesia, obéissent à des règles différentes. Ainsi, propose Kalu, l'absence d'armes à feu dans l'espace humain est le résultat d'un cycle vertueux (ou vicieux, selon le point de vue) : fusils et armes de poing ne sont pas présent dans l'imaginaire collectif car peu utilisés, et en retour cette absence les rend rares, donc peu utilisés. Les armes à feu sont, au mieux, les outils de la communauté et de ses institutions, non de l'individu.
De manière intéressante, ce raisonnement ne s'applique pas à d'autres types d'armes, et ainsi Kalu ne considère pas la société humaine comme une société de la « paix individuelle » comme ont pu le soutenir certains de ses collègues. L'exclusion des armes à feu a donné la part belle aux armes de contact, ainsi qu'aux armes à distance mécaniques, comme les arbalètes et les couteaux guidés, qui sont tout aussi efficaces à courte portée et bien plus difficiles à rattacher à un propriétaire spécifique. Chaque planète habitée possède sa propre tradition martiale ; ainsi, sur Elora, la culture planétaire considère les armes blanches comme des marqueurs de rôles sociaux. Il n'est ainsi pas rare d'offrir une dague ou un kirpan pour célébrer une transition de genre -- bien que cérémonielle, l'arme est alors parfaitement utilisable au combat.
Illustration: Eclipse Phase RPG, Posthuman Studios, CC-BY-NC-SA 3.0.