Maya Tiangong

Maya Tiangong est présentement suspendue à une énorme machine.
Et à en croire sa biographie autorisée, ce n'est pas la première fois que cela lui arrive. La célèbre artilleuse de Smyrnia-Silesia prétend à qui veut l'entendre qu'elle est née sur Terre, à Singapour, et que ses ancêtres étaient dockers de mère en fille depuis l'époque industrielle. Quand on lui demande d'étayer son histoire avec de quelconques preuves, Maya se contente de secouer la tête et d'ajouter : « les grues, mon gars ! Les grues ! »
Les grues, en effet. Est-ce ainsi qu'elle a développé son goût pour les machines géantes, dans une enfance passée à regarder les forêts de grue portuaires s'agiter dans le crépuscule de Singapour, ce vaste port qui sert de plaque tournante au commerce entre Laniakea et les Unions Populaires ? Peut-être. Peut-être pas. J'ai quelques amis là-bas, et ils m'assurent n'avoir jamais trouvé une quelconque famille Tiangong dans la cité-état, ce qui ne veut rien dire. Maya a très bien pu adopter un nouveau nom en quittant la Terre, une tradition très commune parmi les immigrants. Ou alors, elle n'a jamais mis le pied ni à Singapour, ni sur Terre, et les grues sont un mensonge de plus.
L'histoire de Singapour n'est pas la seule. D'aucuns disent que Maya est en réalité née sur Mars, qu'elle est la fille d'un terroriste Rouge et d'une scientifique Bleue, qu'elle a perdu sa famille dans la destruction de Phobos, qu'elle a pris le premier vaisseau pour l'espace interstellaire, la police secrète des Unions Populaires aux trousses. D'autres avancent qu'elle est une meurtrière connue sur Terre, qu'elle a fait de la chirurgie esthétique pour changer de nom comme de vie et que la Méta-Reine en personne a requis ses services. Une rumeur dit même qu'elle est née ici, sur Smyrnia, qu'elle fait partie de la toute première génération à n'avoir rien connu d'autres que le joyeux chaos de nos planètes anarchistes. Tous les éléments de ces histoires ne sont pas forcément incompatibles, mais elles ne peuvent toutes être vraies en même temps. J'ai la faiblesse de penser que cela n'a aucune importance. L'individu connu sous le nom de Maya Tiangong est d'abord et avant tout un mythe, donc un récit, bien avant d'être une liste de faits logiques.
Il existe bien des manières de devenir une légende sur Smyrnia-Silesia, mais peu sont aussi directes que celle qu'a employé Maya Tiangong. Dix ans auparavant, presque jour pour jour, elle a descendu un vaisseau spatial avec un canon tracté par un train. La nature exacte du conflit où elle a réalisé cet exploit n'a que peu d'importance, car chez nous, les allégeances comme les lignes de front sont fluides et changeantes. Ce qui compte, c'est l'acte en lui-même. Il a quelque chose d'à la fois mythique et comique. Un canon de 410 mm bricolé à partir d'un vaisseau écrasé, une locomotive nucléaire roulant à pleine vitesse dans les plaines désolées de Smyrnia, un obus assemblé dans un garage, un télescope et une abaque en guise de viseur, une Luciole pilotée par des corsaires quatre cent kilomètres plus haut, un seul tir : cible à terre. Ce jour-là, l'obus n'est pas la seule chose à avoir été mise sur orbite.
Depuis, Maya Tiangong a tout fait. Elle a bricolé des moteurs nucléaires avec du béton et du cuivre recyclé. Elle a poussé des Lucioles recyclées jusqu'à dix-sept gravités d'accélération. Elle a rendu d'anciens chars d'assaut étanches et les a conduit dans une expédition sous-marine jusqu'aux pôles. Elle a satellisé une sonde autour d'un trou noir. Elle a construit la plus haute grue de la galaxie. Elle a piloté un planeur dans l’œil d'un cyclone aussi vaste que la Terre. Elle a discuté avec un Séquenceur, assise sur une bombe atomique armée. Elle a travaillé avec tout le monde et pour tout le monde. Elle n'a ni allégeances, ni maîtres, ni dieux, à part peut-être les titans d'acier qu'elle élabore dans son garage. Elle a récemment annoncé qu'elle comptait construire la plus grande boule disco de la Voie Lactée. Quand un journaliste a fait remarquer que l'espace humain disposait déjà d'une boule disco de la taille d'une planète, Xango, Maya Tiangong a répondu qu'elle avait tout prévu.
Son plan ? Faire entrer en fusion une naine brune.