Ishaia Akanni

Son premier album s'est vendu à cinq exemplaires.
Il s'agissait d'un remix house de la mixtape Kessler Vibes du groupe d'électro Orbite Terrestre Basse, enregistré avec la fonction de capture audio d'un lecteur de cassettes antédiluvien et agrémenté d'une piste de synthétiseurs jouée sur un Giorgio PUNK-4. L'auditeur averti identifiera aisément cet instrument, car il est apparu dans le clip du dernier single d'Akanni en date, Litanie pour les bras spiraux, qui a été téléchargé plus d'un milliard de fois en l'espace de vingt-quatre heures.
Ishaia Akanni est, à bien des égards, la superstar de l'âge interstellaire. A trente-sept ans, elle a déjà à son actif sept albums publiés sous le label historique Luna Records et s'est vue remixée dans des centaines de morceaux, allant du grunge underground et bricolé des stations de la ceinture d'astéroïde au disco légendaire du boys band des Écureuils Cosmiques. Influencée par la musique terrienne, sélénite et éloraine, Akanni est une artiste remarquablement éclectique, qu'il est difficile de rattacher à un genre spécifique, d'autant plus qu'elle prend un malin plaisir à brouiller les pistes. Son premier album studio, Manœuvre d'Oberth, était un ensemble solide, bien que très classique, de cinq morceaux de néo-synthwave, dont les inspirations (l'électro planante d'Orbite Terrestre Basse en premier lieu) sautaient aux oreilles. Son deuxième album, Lagrange, était un déluge de tempos disco et de synthétiseurs endiablés. Son troisième album, Moonlight, fit d'elle la nouvelle reine de l'électro interstellaire : son morceau le plus mémorable, Inyanga, avec ses riffs de synthétiseur remixant les variations du champ magnétique de Jupiter, est considéré comme le précurseur du fameux rythme cosmique-syncopé de Xango.
Dès son quatrième album, Multispectral, et ses opéras électroniques, il était évident qu'Akanni ne se laisserait pas enfermer dans son rôle de diva électro, ce qui fut confirmé par son cinquième CD, paru la même année. Spinward Burn la fit débarquer directement dans le royaume du hardcore, avec huit morceaux à la batterie agressive, conçus pour la scène underground du système solaire extérieur. Enchantée par la réception critique et populaire de cette expérience, Akanni produisit coup sur coup deux albums radicalement différents. Moon Deco, un CD néo-jazz, et cette étonnante mais réussie incursion dans le rap qu'est son dernier album en date, RCS Failure.
Ishaia Akanni est ainsi un caméléon, à la fois inspiratrice et point focal d'une scène musicale sélénite incroyablement diverse, capable de rassembler des centaines de millions de fans à travers une multitude de genres. Ses critiques la trouvent superficielle, trop éclectique, trop prolifique, et Akanni elle-même ne serait pas forcément en désaccord avec ce jugement, mais, au faîte de sa gloire, l'icône asexuelle et célébrité interplanétaire n'a que faire de la cohérence. Elle a un million d'idée à la minute et la musique est le seul moyen qu'elle a trouvé de faire taire cette multitude.
Dans un autre temps, Akanni serait richissime, mais l'économie post-capitaliste des Communes Sélénites n'a que faire des millionnaires et elle n'est ni plus riche, ni plus pauvre que les autres sept millions d'habitants de la Lune, qui vivent confortablement de leur salaire à vie et de leurs services publics gratuits. Les millions d'équivalents-salaires générés par les ventes de ses albums reviennent directement aux Communes ; car si Akanni vit dans un appartement standard de la cité de Copernicus, sa musique vaut autant que le produit intérieur brut d'une lune jovienne. C'est ainsi sans surprise qu'elle vient d'être élue au Conseil de Séléné, où elle exerce des fonctions d'ambassadrice qui sont une nouvelle corde à l'arc du soft power de sa chère Lune.
Illustration stock par PO-Art.