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Alazar Abraham

Ainsi le voilà.

Alazar Abraham regarde sa montre comme s'il voulait ancrer cet instant dans la réalité tangible. Il est neuf heures du soir, fuseau horaire d'Inde Occidentale. Le train transcontinental à grande vitesse file à travers la banlieue de New Delhi. La mousson l'enveloppe d'un voile tiède qui brouille les arcologies, les arbres-monde et les temples hindous de la capitale des Unions Populaires en une tapisserie colorée. La motrice à sustentation magnétique ralentit avec un murmure et, peu à peu, le monde devient plus clair. Le prochain arrêt est le Parlement des Peuples ; dans la nuit pluvieuse, son dôme brille en bleu sombre, flanqué des pétales d'une gigantesque fleur de corail comme un vaisseau de ses dissipateurs thermiques. Alazar trouve amusant le fait qu'il se rabatte ainsi sur une comparaison spatiale, car il n'a jamais quitté le berceau de la Terre. Il n'en a jamais ressenti le besoin, et il n'en a jamais eu le besoin. A un niveau fondamental, radical, il est un enfant de la Terre, il le sent dans ses os, dans son sang, dans la manière dont son coeur se contracte dans sa poitrine. L'espace lui a toujours glacé le ventre et jamais les étoiles n'ont parlé à son âme. Il n'a pas besoin de leur compagnie pour se sentir entier. La Terre, la mère de toutes choses, la planète-univers, contient l'intégralité de la Terre.

Alazar s'appuie contre le verre glacé de la vitre et croise le regard de son assistante. Palomine est à ses côtés depuis plus de vingt ans. N'importe quel autre secrétaire aurait été pétrifié de terreur à l'idée de conduire son employeur au Parlement sans avoir préparé son discours, rien, pas même des notes éparses, mais Palomine a depuis longtemps évacué cette angoisse. Alazar n'a jamais écrit ses discours, pas plus qu'il ne les a fait écrire. Il n'en a pas besoin. Il se contente d'arriver d'un pas nonchalant sur la scène avec son vieux complet-veston, comme s'il venait de sortir d'une université de l'arrière-pays, et se lance sans filet de sécurité. La simplicité et la franchise de ses sorties improvisées lui permettent de captiver son audience comme personne. Alors, à moins d'une heure de son arrivée face aux parlementaires continentaux, il commence à se demander ce qu'il va bien pouvoir leur dire. Qu'il se sait investi d'une mission citoyenne hors du commun par le vote qu'ils viennent de lui accorder ? Qu'il est fier d'être le premier Éthiopien et le premier homme trans à être élu à une telle fonction ? Non, il lui faut être plus simple. Encore plus simple.

Car ainsi est Alazar Abraham -- un homme simple. Dans le labyrinthe de la politique socialiste, Alazar est une feuille de papier, blanche et sans rien à cacher. Il n'a jamais trahi. Il n'a jamais menti. Il n'a jamais rien caché. Il porte ses convictions comme un sacerdoce visible de tous. Alazar est un communiste à l'ancienne, comme on en fait de moins en moins, qui croit sincèrement que le futur de la Terre se trouve sous la bannière des Unions Populaires. Sa sincérité, pourtant, n'est pas naïve. Elle désarme. Elle est pure. Elle est sa meilleure arme.

Alazar Abraham commence à imaginer un début de discours, soupire et décide qu'il y verra plus clair après une petite sieste. Dans exactement deux heures, il sera intronisé Secrétaire Général des Unions Populaires de la Terre. En d'autres termes, il deviendra l'être humain le plus puissant de la galaxie. 

Illustration stock par PO-Art

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