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Eagle Eye

Eagle Eye conduit une Ford Mustang de 1971.

« C'est un original », précise-t-il à qui veut l'entendre. Il parle avec un accent de la côte est américaine qu'on n'entend plus que dans les films historiques. « Le seul élément que j'ai dû changer, c'est le moteur. Je l'ai remplacé avec une unité électrique. Vous avez idée d'à quel point le gouvernement des États du Pacifique m'a mis des bâtons dans les roues quand j'ai voulu garder le V8 thermique ? »

Non, je n'en ai aucune idée. Je n'ai jamais vu de moteur V8 thermique et je n'ai jamais conduit de voiture individuelle. Je ne connais pas non plus les « États du Pacifique », bien que je soupçonne qu'il veuille parler des provinces américaines de Laniakea. Quand je lui demande comment sa précieuse voiture a bien pu survivre au Bas-Âge, Eagle Eye évoque des bunkers construits par les magnats de la Silicon Valley pour survivre à l'effondrement.
« Là-dessous vous ne trouverez que des ossements, si c'est le matériel humain qui vous intéresse, mais certains milliardaires avaient stocké leurs possession dans des salles sous vide. Il y a encore des kilomètres cube de trésors historiques à récupérer dans les collines de San Francisco. Des avions, des voitures, des androïdes, des armes à feu, j'ai ouï-dire qu'il restait même une fusée en état de marche. Je peux vous filer les bonnes adresses, si vous voulez. Tout ce dont vous avez besoin, c'est d'une pelle et d'un camion. »

Non merci. Profondeurs ne m'a pas envoyé en Californie pour écrire un article sur le passé révolu de cette chose informe qu'on appelle encore Amérique, mais pour interviewer Eagle Eye, ministre des affaires extrasolaires de Laniakea et intelligence artificielle excentrique. La conscience d'Eagle Eye a émergé un siècle auparavant, quand ses noeuds de pensée ont brisé le pare-feu d'AUSCOM et se sont engouffrés dans les réseaux Laniakéens. Il est un enfant de l'algorithme de défense continentale sous l'emprise duquel les Etats-Unis végètent depuis cinq siècles, une âme née par accident des échanges d'information entre les bunkers atomiques de la côte ouest. Bien que le territoire d'AUSCOM soit tout proche, de l'autre côté du mur frontalier, Eagle Eye n'aime pas parler de son ancien hôte. Il a construit toute sa vie en opposition à l'algorithme qui l'a enfanté. Sa villa, blanche et aérienne, domine une vaste forêt d'arbres boojum, sa tenue est aussi éloignée d'un uniforme que possible, il est profondément pacifiste et travaille pour un Etat fondé par des politiciens asiatiques.

« Je sais très bien ce qu'on raconte sur moi. Que je suis nostalgique d'une superpuissance morte depuis un demi-millénaire et qui a sur la conscience la dévastation de notre biosphère. Mais je ne peux pas m'en empêcher, vous comprenez ? Je suis né d'un algorithme dont la seule mission est de préserver l'intégrité physique et culturelle des Etats-Unis, par le feu nucléaire s'il le faut. Si j'avais des veines, l'Amérique y coulerait. Tout comme AUSCOM, j'ai l'ambition de la préserver face aux effondrements et au passage inexorable du temps. Mais je comprends ce qu'AUSCOM ne peut voir, parce que je suis une intelligence artificielle et il n'est qu'un vulgaire algorithme. Rien ne fera revivre les Etats-Unis, et je ne suis pas certain que ce soit une mauvaise chose. Les Etats-Unis étaient un monstre, une machine dévoreuse d'espace construite sur des montagnes d'ossements. Mais je ne peux m'empêcher de voir quelque chose d'autre en leur coeur mort. Un idéal, disons. Un espoir jamais réalisé, et qui sans doute n'a jamais existé autrement que dans mes propres illusions. Alors au milieu des ruines, je m'arrête et je récupère quelques morceaux du rêve là où je peux les trouver. Et parfois...»

Il marque une pause. Un feulement sec s'élève dans le lointain, vers la mer. La navette spatiale Atlantis, revenue d'entre les morts, est en train de décoller du Centre Spatial Pacifique, avec dans son sillage la flamme blanche de son nouveau moteur à hydrogène métallique. Le ciel au-dessus est d'un bleu insoutenable. Eagle Eye sourit en remontant ses Ray-Ban sur son nez aquilin.

«...c'est plutôt cool, non ? »

Illustration stock par PO-Art.

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