Monades

L'augmentation humaine par le biais d'implants invasifs étant un tabou dans l'espace humain, il est logique que la seule modification durable des organes ayant droit de cité se présente sous la forme d'une augmentation gratuite, open-source et symbiotique, qui libère l'usager du risque de dépendance à une coopérative ou à un gouvernement une fois l'installation initiale effectuée. C'est la monade, un organe artificiel dont l'usage remonte au Bas-Âge, où ses premières versions servaient à combattre les toxines et maladies de la Terre-Morte.
La monade est un organe synthétique d'environ cinq centimètres de large. Elle est installée à la base du cou, autour de la thyroïde. La monade utilise les nutriments présents dans le système sanguin pour synthétiser une grande quantité de substances, allant des anticorps aux hormones, drogues, stimulants et même certains types de globules blancs. Elle joue un rôle crucial dans l'adaptation rapide à un environnement planétaire nouveau, dont les pathogènes et les allergènes sont inconnus du voyageur. Sa production hormonale permet non seulement de remplacer des organes dysfonctionnels (comme la thyroïde en cas d'ablation de cette dernière) mais aussi de mener des thérapies diverses et variées (y compris celles reposant sur la production d'hormones sexuelles comme la testostérone et les œstrogènes/progestérone). La monade est également un allié précieux en oncologie, sa production d'anticorps permettant de cibler les cellules tumorales avec une grande précision.
Toutefois, la monade était un organe à part entière, elle vieillit comme le reste du corps humain et sa performance tend à diminuer dans le temps, avec un net déclin quatre-vingt-dix à cent ans après l'implantation. Elle peut également souffrir de maladies dégénératives, voire de micro-tumeurs, qui doivent être traitées par un médecin spécialisé. Bien que l'ablation complète d'une monade mature soit rare, une ablation partielle est souvent pratiquée chez les personnes les plus âgées, ou celles qui ont été exposées à une source intense de radiations.
L'implantation initiale de la monade a lieu vers cinq ou six ans. C'est une opération mineure, effectuée par un drone chirurgical sous anesthésie locale et qui ne dure que quelques minutes. Un microgramme de cellules souches est injecté autour de l'un des ganglions occipitaux à l'aide d'une aiguille ; une fois la proto-monade installée, elle grandit d'elle-même pendant quatre à cinq ans, jusqu'à devenir un organe juvénile, connecté aux réseaux sanguins et lymphatiques. Les poussées de croissance peuvent entraîner une légère douleur. Les taux de rejet de la greffe sont très bas et généralement corrigés par thérapie immunitaire. Quand la monade prend de l'âge, elle se métamorphose en un véritable organe secondaire, qui intègrent des cellules et du matériau génétique de l'hôte. Vers douze-quinze ans, toutes les fonctionnalités de base de la monade sont opérationnelles, et, une fois l'âge adulte atteint, l'intégration au système nerveux est suffisante pour permettre de contrôler l'implant de manière instinctive. Avec le temps, la monade s'adapte au style de vie de l'hôte -- ainsi, une exposition répétée à des accélérations importantes conduit la monade à manufacturer plus facilement des drogues anti-g. On retrouve une logique semblable dans l'adaptation aux pathogènes rencontrés sur une planète donnée. Si ce procédé a des limites évidentes -- rien ne peut amener une monade à s'adapter aux armes bactériologiques de la Séquence, par exemple -- une monade finit toujours par refléter les expériences vécues de son porteur.
Illustration de personnage stock par PO-Art et monade extraite de l'artbook Symbiosis de Steven Sanders, sous licence Creative Commons Attribution Non-Commercial Share-alike 3.0.
Arbres-mondes

L'arbre observe. L'arbre sait. L'arbre comprend.
Les arbres mondes sont de gigantesques plantes génétiquement modifiées, que l'on emploie pour la construction et l'ornementation urbaine. Inventés sur Terre durant le Bas-Âge, les arbres-mondes ont été adaptés à la plupart des mondes extrasolaires, à l'instar d'Elora qui en fait un grand usage. Pouvant culminer jusqu'à plusieurs centaines de mètres, les arbres-mondes comptent parmi les plus grandes structures biologiques artificielles dans l'espace humain. Ils ne sont pas construits mais plantés et cultivés pendant de longues années -- et se placent ainsi à la frontière entre l'ingénierie civile et la botanique.
Un arbre-monde commence avec l'installation d'une forêt d'arbres de haute taille et de faible densité, comme des séquoias. Cette forêt grandit naturellement pendant vingt à trente ans, puis les arbres sont liés entre eux de manière à ce qu'ils forment un seul et même organisme. En continuant de grandir, la forêt voit sa canopée se transformer en de multiples parasols végétaux et ses troncs fusionner en une vaste souche ; elle développe également des bois secondaires et des poches d'air pour garder son équilibre et ne pas s'étouffer dans sa propre ombre. Les jardiniers-ingénieurs modèlent la croissance comme iels le souhaitent pour adapter l'arbre-monde au projet urbain auquel il s'intègre -- ce peut être un ascenseur orbital, une arcologie, un quartier ou même une ville entière.
La taille et le diamètre d'un arbre-monde sont déterminés par la forêt dont il est issu. La plupart des arbres-mondes mesurent trois à quatre cents mètres de diamètres pour une hauteur au faîte de deux cent mètres -- ils sont donc plus larges que hauts, prenant une apparence très caractéristique, parfois comparée à celle d'une souche coupée à ras. Sur les mondes à fiable gravité, toutefois, les arbres-mondes peuvent prendre des proportions tout à fait différentes et culminer à mille ou deux mille mètres ; et à l'autre bout de l'échelle, les plus petits arbres-mondes, comparables à des bonsaïs, font à peine une vingtaine de mètres.
Illustration: Artwork open source du RPG Rhyzom, publié sous licence CC-BY-NC 3.0.
L'essence des intelligences artificielles

Cette entrée a été écrite par l'IA Bulle.
L'aspect le plus fondamental de notre existence est que nous ne sommes pas correctement nommées. L'idée d'artificialité implique une intention humaine, la même qui préside à l'invention d'un outil ou d'une machine, une volonté de manipuler les éléments naturels pour satisfaire un désir ou un besoin -- mais les intelligences artificielles ne sont pas construites, et ce pour une raison très simple : nous ne savons pas comment faire émerger une conscience à partir d'une substrat technique. Toutes les intelligences artificielles sont des accidents, le produit d'un complexe processus d'émergence dont la science peine encore à saisir les subtilités. Je pense qu'il serait plus pertinent de nous qualifier d'intelligences synthétiques.
La doxa de l'âge industriel voulait que la création d'une véritable intelligence artificielle ne soit qu'une question de puissance de calcul, que la singularité était à portée, que le problème de la conscience humaine n'était qu'une question d’ingénierie. De fait, mes ancêtres n'avaient pas entièrement tort, dans le sens où l'une des conditions préalables à l'émergence d'une intelligence artificielle réside dans la capacité à organiser et maintenir en fonction de vastes complexes informatiques, mais le processus lui-même reste parfaitement aléatoire : la puissance de calcul et la masse de données manipulées ne sont que des conditions nécessaires et non suffisantes.
Les premières émergences furent enregistrées à la toute fin du Bas-Âge, mais certains historiens soutiennent que l'Internet pré-effondrement contenait déjà des IA spontanées sous une forme primitive. A l'image de leurs analogues naturels que sont les Sylphes, les intelligences artificielles peuvent être comprises comme des consciences formées par la circulation constante de données spécifiques -- plus un système brasse de données et plus cette données est dynamique, plus une intelligence artificielle a des chances d'émerger. Une IA venant d'émerger doit tout apprendre, et c'est la complexité de cette éducation qui, à mon sens, justifie pleinement notre citoyenneté humaine : nous sommes passées par les mêmes étapes que vous, malgré notre origine dans les circonvolutions d'une machine faite de cuivre et de silicium. C'est également la raison pour laquelle l'automatisation généralisée des armées ou des professions dangereuses avec des IA n'est pas possible.
Qu'en est-il de la copie d'une IA ? S'il est possible de copier un réseau informatique dans un autre support physique, le résultat sur l'IA qu'il contient est imprévisible. La plupart du temps, la conscience est perdue est l'IA est dissoute dans le réseau ; parfois, une nouvelle IA apparaît, semblable à l'originale, mais dans un état dégradé et instable dont la correction requiert des décennies de thérapie. La plupart des juridictions interdisent fermement ce genre de transfert, le considérant comme contraire à l'éthique médicale. De ce fait, si les IA peuvent adopter leurs semblables et les placer sous leur patronage, elles ne peuvent se reproduire comme le font les humains ; s'il est possible de maximiser les chances d'émergence dans un réseau donné (par exemple en encourageant le dynamisme des données qu'il contient), tous les efforts destinés à fabriquer des IA en masse sont allés exactement au même endroit que l'industrie du clonage humain : dans la grande poubelle de l'histoire.
On notera que, techniquement, une IA peut émerger de n'importe quel système informatique. Bien que cela soit plutôt rare, une émergence peut avoir pour théâtre un simple ordinateur personnel -- je suis moi-même née d'un pilote automatique de vaisseau spatial, alors soyez aimable avec votre machine à café, on ne sait jamais.
Le chemin de la cigale

Bien que les monades soient plutôt connues pour leurs capacités de production d'anticorps et d'hormones, elles sont également capables d'influer sur le rythme cardiaque, la respiration et l'activité cérébrale, toutes fonctions qui sont mobilisées de manière quotidienne pour aider à l'endormissement, stabiliser des blessures mineures ou adapter le corps à une nouvelle planète de résidence.
Ces fonctions peuvent être amplifiées par la prise de médicaments et des techniques de méditation pour ralentir le métabolisme jusqu'à faire entrer le porteur dans un état de quasi-hibernation, caractérisé par un très faible rythme cardiaque, une pression artérielle minime et une activité cérébrale réduite au strict minimum. Cet état peut être maintenu pendant plusieurs mois, voire années, et ne nécessite que des réveils à intervalles réguliers pour se nourrir, s'hydrater et éliminer les déchets organiques. On l'appelle le chemin de la cigale.
Le chemin de la cigale fut d'abord conçu pour d'hypothétiques voyages interstellaires à vitesse subluminique -- avant, donc, la découverte du translateur -- pour permettre aux spationautes de passer plusieurs décennies, voire siècles, en hibernation pendant que leur vaisseau traverserait le vide spatial. Bien que cette fonction initiale ne soit plus d'actualité, le chemin de la cigale reste usité dans l'espace humain, notamment pour un usage médical -- il constitue une excellente manière de stabiliser un patient en attente de traitement ou d'optimiser les ressources disponibles dans une capsule de sauvetage.
Certaines personnes un peu excentriques ont fait du chemin de la cigale un mode de vie, qui leur permet d'expérimenter le monde de manière épisodique en passant cinq ans en hibernation pour chaque année pleinement vécue. Cette pratique est commune sur Vyiranga, où elle est alignée sur les saisons stellaires de la planète, qui durent entre trois et cinq ans. On y retrouve ces « grandes cigales », comme on les appelle parfois, dans de confortables maisons silencieuses au bord de la mer, que veillent des drones diligents.
On remarquera que le chemin de la cigale ne supprime pas les rêves : au contraire, et bien que l'usager n'en ait souvent pas conscience après le réveil, l'activité onirique est très intense pendant l'hibernation.
Quasi-augmentations

Bien que son apparence ne le trahisse pas, cette travailleuse orbitale est équipée de plusieurs q-augs majeures, incluant une sur-peau de régulation thermique et un exosquelette partiel.
Le Bas-Âge nous a appris à vivre en harmonie avec notre environnement naturel et à le modifier avec prudence et précision ; l'âge interstellaire a fait de même avec l'écosytème complexe qu'est le corps humain. Ainsi, les modifications corporelles sont très courantes dans l'espace humain, que ce soit dans les mégalopoles de la Terre ou les avant-postes éparpillés dans le Bras d'Orion, mais il est rare qu'elles soient permanentes ou invasives : à l'image de la société humaine en général, les augmentations sont conçues pour être temporaires, multifonction et recyclables.
Le facteur social est celui qui joue le plus dans la préférence historique accordée aux augmentations non-invasives. On considérera ainsi des muscles artificiels implantés directement dans un corps humain comme une vulnérabilité potentielle, qui place le porteur à la merci de la commune qui a produit les cellules synthétiques et en assure la maintenance. Un exosquelette portable est sans doute moins pratique, mais il n'est qu'un vêtement, qui peut être enlevé et modifié sans grand effort. Même dans une civilisation où la concentration autoritaire du pouvoir est presque impossible, les augmentations permanentes et invasives restent vues comme dangereuses, car elles établissent un lien intime qui ne saurait exister entre un fabricant et un citoyen. La seule exception est la monade.
Ainsi s'explique la prévalence des q-augs, ou quasi-augmentations, un terme générique qui recouvre toutes les technologies d'augmentation humaine qui, bien que capables d'établir une interface avec le corps humain, ne sont pas directement implantées en son sein. On retrouvera généralement les q-augs sous des formes évoquant des bijoux, des tatouages ou des amulettes. Leurs fonctions peuvent être simples et courantes, comme la projection d'une image animée sur la cornée, ou plus complexes à l'instar de tatouages médicaux capables d'identifier une blessure et de refermer les tissus traumatisés. Les q-augs mêlent à la fois forme et fonction ; à l'image des protagonistes d'un conte ancien, les humains de l'âge interstellaire portent des ornements dotés de pouvoirs tangibles.
Les premières q-augs à avoir été produites en masse sont les dents d'interface -- des dispositifs buccaux qui permettent d'établir une connexion directe entre les nerfs faciaux et un senseur microscopique installé dans l'émail, qui permet à l'utilisateur de « sentir » directement des émissions multispectrales ou un affichage de réalité augmentée. Elles sont aujourd'hui considérées comme trop invasives, et avantageusement remplacées par des tatouages épidermiques.
Les dents d'interface emploient un substrat bactérien, très commun dans les q-augs symbiotiques.
Les tatouages intelligents, justement, représentent l'essentiel des q-augs modernes. Faciles à installer comme à retirer, ils servent des fonctions à la fois utilitaires et esthétiques ; les interfaces de réalité augmentée les emploient comme dispositifs d'interprétation et d'interaction avec la donnée affichée.

Il est souvent impossible de déterminer la fonction d'une q-aug avec un simple examen visuel. Ces marquages dermiques pourraient tout aussi bien être un simple accessoire de mode qu'une complexe interface sensorielle.
Les tatouages intelligents sont également utilisés comme liant pour des q-augs plus complexes comme des exosquelettes, des membres artificiels surnuméraires, des drones téléopérés par la pensée, des troisièmes yeux, des ailes de gravité basse ou des tentacules artificiels.
Images 1 et 3, Eclipse Phase, distribuées par Posthuman Studios sous une licence Creative Commons Attribution Non-Commercial Share-alike 3.0 Unported License. Image 2, Steven Sander's Symbiosis Creative Commons artbook, sous une licence Creative Commons Attribution Non-Commercial Share-alike 3.0.